Olivier Badelon
PREMIÈRE JOURNÉE D’ORTHOPÉDIE PÉDIATRIQUE DE L’HÔPITAL AMÉRICAIN DE PARIS
20 octobre 2000
L’Orthopédie pédiatrique est une spécialité chirurgicale qui a la vocation de prendre en charge aussi bien la traumatologie que les pathologies aiguës et chroniques de l’appareil locomoteur, c’est-à-dire de la colonne vertébrale et des membres, depuis la naissance jusqu’à l’âge de 18 ans. Cette spécialité demande une expérience générale dans le traitement et la réparation des os et des articulations mais aussi des muscles et des tendons, des nerfs et des vaisseaux et de la peau.
Elle s’adresse aux enfants et aux adolescents depuis leur naissance jusqu’à l’âge de 18 ans et parfois un peu plus. Cela correspond aux besoins des patients aussi bien sur le plan médical en raison des pathologies rencontrées et des phénomènes de croissance qui se prolongent très tard, souvent jusqu’à une vingtaine d’années, que sur le plan personnel en raison des relations qui se créent avec le patient et sa famille.
L’Orthopédie pédiatrique a devancé depuis longtemps dans son organisation la reconnaissance légale de l’âge supérieur de l’enfance qui a été reconnu en 1989 par la signature des Droits de l’Enfant par la communauté internationale. Tous les pays signataires devraient l’appliquer dans l’organisation de leurs réseaux et de leurs structures de soins notamment hospitalières. C’est depuis longtemps le cas en Amérique du Nord.
Des progrès considérables ont été faits ces dernières années dans la compréhension des phénomènes de la croissance et dans le dépistage précoce de nombreuses affections, ce qui permet d’une part d’avoir une approche beaucoup moins chirurgicale et souvent préventive, d’autre part de simplifier l’approche chirurgicale afin de diminuer les risques de morbidité et d’améliorer les résultats au long terme. Cela demande plus que jamais une étroite collaboration entre les différents intervenants qui ont en charge ensemble ces enfants et ces adolescents.
Le chirurgien orthopédiste pédiatre intervient soit de première intention à la demande directe des parents, soit en seconde intention avec la recommandation d’un autre médecin ou d’un kinésithérapeute.
L’interrogatoire et l’examen clinique permettent le plus souvent d’orienter ou de faire le diagnostic. Ils sont systématiques en précisant d’emblée la maturation osseuse de l’enfant par rapport à son âge civil, son côté dominant, ainsi que ses activités scolaires et extra-scolaires. Ils prennent également en compte le dépistage des pathologies chroniques ostéo-articulaires et musculaires si l’état de l’enfant le permet en dehors du contexte de l’urgence (Scoliose, etc…)
La plupart des consultations ont une motivation justifiée et les associations pathologiques sont relativement fréquentes. Par contre certaines consultations sont motivées par des raisons qui ne rentrent pas dans le cadre de la pathologie, notamment les déformations et les vices de torsion mineurs des membres inférieurs. C’est le cas du pied qui tourne ou du genu valgum chez le petit enfant, ce qui entraîne beaucoup trop souvent des consultations répétitives quand l’inquiétude des parents n’a pas été calmée à la suite d’une et parfois de plusieurs consultations rapides et peu explicites. L’examen clinique complet permet d’éviter des radiographies inutiles. L’examen comparatif des parents présents et des explications simples sur la croissance et la biomécanique des membres inférieurs suffit à condition de prendre le temps nécessaire.
Il faut insister sur l’examen comparatif des parents qui est souvent très intéressant pour affiner l’attitude thérapeutique dans les pathologies héréditaires, notamment les défauts architecturaux des os et des articulations notamment au niveau de la colonne vertébrale, de la hanche, du genou, du pied,…
Les examens radiographiques standards sont souvent nécessaires pour compléter l’examen clinique. Ils permettent en général de faire le diagnostic, même par élimination.
Les autres examens sont des compléments qui ne se justifient que dans des cas très précis, soit à la recherche d’une pathologie invisible radiologiquement, soit pour compléter l’analyse d’une lésion visible dont la nature ou l’extension demande à être précisée surtout avant une intervention chirurgicale.
Les examens biologiques sont rarement justifiés à la suite d’une première consultation. Les examens sanguins sont nécessaires dans le cadre d’une pathologie inflammatoire suspecte, ou d’une infection, ou encore plus rarement à la recherche d’anomalie hématologique comme la drépanocytose.
La première consultation est la plus importante pour établir le contact avec l’enfant et ses parents. La démarche diagnostique et le choix thérapeutique sont expliqués clairement et simplement, avec éventuellement une discussion ouverte sur les avantages et les inconvénients des différentes approches possibles. Cela doit être fait devant l’enfant quel que soit son âge car il est capable de comprendre très tôt beaucoup de choses et parce que c’est le premier intéressé et qu’il ne peut qu’être sensible à cette considération. Il faut parler directement à l’enfant ou à l’adolescent en présence de ses parents, même en cas de tumeur maligne. Le discours doit être franc et positif.
Le pithiatisme est la seule circonstance où l’enfant peut être écarté de ses parents pour affiner l’approche diagnostique et compléter les explications. Le pithiatisme est une pathologie qui est inventée par l’enfant. Cela demande une grande prudence car il faut éliminer les vraies pathologies orthopédiques parfois très graves qui peuvent se déclarer avec les mêmes symptômes. Cette mise à l’écart doit être fait en fin d’entretien, après avoir proposé des explications diagnostiques et thérapeutiques qui soient compatibles avec les symptômes exprimés et qui donnent à l’enfant des limites de récupération précises dans le temps sans le ridiculiser auprès de ses proches. Il doit se rendre compte que le médecin n’est pas dupe mais que son appel a été entendu et que le traitement choisi va le guérir. Le repos et la rééducation sont des traitements simples qui permettent le plus souvent de se sortir de cette situation très désagréable et d’éviter l’évolution vers des comportements plus graves qui relèvent alors de la psychiatrie.
Il faut considérer que les parents sont les premiers thérapeutes de l’enfant car ils sont responsables de l’organisation et de la surveillance des soins. Il est essentiel qu’ils soient convaincus de l’intérêt du traitement, surtout si le traitement est très long, par exemple le port d’un corset orthopédique, car il leur faudra parfois faire preuve d’autorité pour faire respecter son port régulier.
Cette première consultation débouche le plus souvent sur un traitement non chirurgical qui va avoir des conséquences sur la vie quotidienne de l’enfant. Il est important de les prendre en considération en fin de consultation, que ce soit la scolarité ou les vacances, l’écriture, la pratique sportive et les jeux, les activités scolaire. Les interdictions doivent être mesurées et sélectives. Il ne faut pas hésiter à orienter l’enfant vers des activités adaptées à son cas et à sa morphologie pour qu’il puisse s’épanouir aussi bien dans le cadre scolaire qu’en dehors.
Le repos strict ou relatif est un traitement fréquent. Il est difficile à faire respecter et la collaboration de tout l’entourage de l’enfant est indispensable. Il est parfois nécessaire d’hospitaliser l’enfant pour le maintenir au repos complet, surtout quand les conditions de logement et les obligations de travail des parents empêchent une surveillance efficace. Cette hospitalisation est souvent faite dans un premier temps dans un service « aigu ». Elle est ensuite faite dans un centre de rééducation adapté à la pédiatrie avec une scolarisation parallèle qui permet à l’enfant de ne pas être déconnecté sur le plan scolaire.
La rééducation est souvent utilisée. Elle est expliquée à l’enfant et à ses parents pour qu’ils en comprennent l’importance. Elle est essentiellement posturale et assouplissante. L’idéal est que les principaux gestes soient acquis et reproduits ensuite dans la vie quotidienne et sportive.
Voici la matrice d’un certificat médical sélectif pour la pratique sportive scolaire :
Je soussigné, Docteur …………………………..,
certifie que ……………………………………….
peut faire du sport scolaire à condition qu’il soit pratiqué de façon sélective et adaptée à son cas.
Il/Elle peut faire de la course à pied sur terrain souple, faire de la gymnastique au sol sans acrobatie, faire de la natation, participer à des jeux de ballon comme le basket et le volley-ball, faire du tennis de table
Il/Elle ne peut pas porter des charges lourdes, courir sur terrain dur, sauter en hauteur ou en longueur, faire de la gymnastique en appareil, du trampoline, des sports de combat, de jeux de ballon avec contacts comme le football, le rugby ou le hand-ball.
Il est important que les gestes techniques et les jeux soient précédés par un échauffement musculaire suffisant, avec des exercices d’étirement musculaire après l’effort.
Ces consignes sont valables pour toute la durée de l’année scolaire en cours.
Le sport scolaire sera complètement supprimé pour s’il est impossible d’adapter les activités à ses possibilités physiques.
Certificat établi à Paris, le ………………, pour servir et faire valoir ce que de droit.
Docteur ………………………………
L’intervention chirurgicale est souvent vécue comme une agression par les parents. Il faut savoir expliquer sa nécessité aussi bien que les différents choix thérapeutiques possibles avec leurs avantages, leurs inconvénients et leurs risques. C’est une pratique quotidienne depuis toujours qui n’as pas attendue les obligations légales récentes.
La consultation d’anesthésie est obligatoire en cas d’intervention chirurgicale. Elle est fondamentale pour choisir le type d’anesthésie en fonction de l’indication et de l’état général de l’enfant. Elle permet aussi de compléter les informations médicales de la prise en charge tout en apportant souvent un réconfort psychologique, surtout dans le contexte de l’urgence. Le chirurgien doit d’ailleurs prendre garde à ne pas être trop affirmatif sur les conditions de l’anesthésie lors de la consultation chirurgicale préopératoire, surtout s’il y a plusieurs choix possibles entre l’anesthésie générale et l’anesthésie loco-régionale. L’enfant et ses parents peuvent comprendre que l’on puisse changer d’avis, même au dernier moment en salle d’opération. Il est d’ailleurs prudent de les prévenir en cas d’anesthésie loco-régionale.
L’accueil de l’enfant en salle d’opération est essentiel. L’anesthésiste et le chirurgien sont ensemble pour le recevoir à l’entrée du bloc opératoire. L’enfant a besoin très tôt de cette relation de confiance avec ceux qui le soignent.
En post-opératoire, les conditions d’intervention et les suites sont expliquées en détail, aussi bien aux parents qu’à l’enfant, en les répétant au besoin plusieurs fois, pour être certain d’être bien compris.
Dans tous les cas, le Chirurgien orthopédiste pédiatre est le maître d’œuvre du traitement. Il doit s’assurer de la collaboration de tous ceux qui interviennent dans la prise en charge de l’enfant, aussi bien les soignants que les autres, en prenant en considération toutes les contraintes que cela va entraîner pour l’enfant et son entourage familial.
Il est essentiel de travailler en équipe avec tous les intervenants. Pour cela, il faut aller dans la même direction et parler le même langage. Le compte-rendu précis de la consultation, aussi bien que le compte-rendu opératoire, et le compte-rendu d’hospitalisation, sont les meilleurs garants de cette homogénéité, tout en permettant une documentation précise des évènements.
L’idéal est que les comptes-rendus soient écrits de façon simple et compréhensible par tous, même sans aucune formation médicale, et qu’ils soient communiqués aux parents et à tous les intervenants dans la prise en charge des soins de l’enfant, même le compte-rendu opératoire.
L’idéal est de pouvoir dicter le compte-rendu de consultation devant l’enfant et ses parents, pour confirmer la véracité des faits et s’assurer de leur bonne compréhension, tout en leur montrant qu’il n’y a pas de langage d’initié ou de double langage.
Enfin il faut que tous les documents soient conservés dans le dossier médical par les parents et par leur médecin traitant.
Il est recommandé aux parents de lire le compte-rendu lors de la réception du courrier avant de le ranger dans le dossier médical, et de le relire avant la consultation suivante pour préparer les examens nécessaires. Il leur est recommandé de le ranger soigneusement, éventuellement dans un classeur qui peut devenir un véritable dossier médical où le carnet de santé n’est qu’un document chronologique de contrôle.
La tenue de ce dossier médical prend toute son importance pour le suivi des séquelles d’un accident ou dans les pathologies chroniques qui peuvent s’associer en cours de croissance, avec assez souvent des interférences qui peuvent être difficiles à gérer.
En dehors des pathologies tout à fait bénignes, cette prise en charge orthopédique demande un suivi à long terme, souvent jusqu’en fin de croissance. Ce suivi dépend de la pathologie en cause et de son risque évolutif. Il est rythmé par la croissance de l’enfant et ses activités scolaires et ludiques notamment sportives.
Il ne faut surtout pas multiplier les consultations et encore moins les examens radiologiques de contrôle, mais il est très important de garder le contact avec l’enfant et son entourage, surtout dans les pathologies chroniques. En dehors des périodes aiguës où la surveillance doit être très rapprochée pendant un à trois mois, elle peut être étalée sur des périodes relativement longues. Il faut cependant être très vigilant en cas de risque évolutif, notamment dans le suivi des déformations rachidiennes en période pubertaire. Dans ce cas, il ne faut pas dépasser l’intervalle de quatre mois en l’absence de traitement, et de six mois quand le traitement est correctement organisé. Le médecin traitant et le kinésithérapeute peuvent avoir alors un rôle complémentaire très important pour doubler cette surveillance en intercalant les consultations avec le chirurgien orthopédiste.
Le chirurgien orthopédiste pédiatre reste toujours le maître d’œuvre de cette surveillance à long terme. Cela demande une communication régulière du suivi orthopédique aux autres intervenants. Cette information est astreignante car elle est répétitive et chronophage, Elle doit être précise et claire, sans chercher à cacher les difficultés des choix et des conduites thérapeutiques ou les éventuelles évolutions péjoratives qui peuvent survenir en cours de traitement.
L’information donnée aux enfants et à leurs parents doit être, et rester, positive car ils ont besoin d’être guidés et encouragés tout au long du traitement. Il est tout aussi important de valoriser l’enfant en le félicitant des progrès obtenus tout en essayant de le guider dans sa vie personnelle, notamment scolaire et sportive.
Cette information doit être particulièrement prudente de la part du Chirurgien orthopédiste pédiatre pour un deuxième avis ou pour le suivi d’un traitement entrepris par un autre. Là aussi, l’information doit être claire et précise, en prenant garde à ne pas interférer de façon négative dans le cours de ce traitement. Il est évident que les choix thérapeutiques peuvent différer d’un consultant à l’autre, mais il faut éviter que l’expression médicale de cette différence se fasse de façon catégorique car elle est alors forcément diffamatoire pour le consultant précédent, et surtout très troublante sur le plan psychologique pour l’enfant. De toute façon, il est normal que l’enfant et les parents puissent désirer changer d’équipe médicale, mais il faut absolument éviter les doubles prises en charge ou le nomadisme inutile qui ne peuvent qu’être préjudiciables à l’enfant.
L’objectif final de notre spécialité est de permettre à l’enfant d’arriver à l’âge adulte avec un appareil locomoteur dans les meilleures conditions possibles afin de ne pas grever son potentiel fonctionnel et de ne pas accélérer les phénomènes inéluctables du vieillissement.
Les progrès thérapeutiques dans la prise en charge des pathologies de l’appareil locomoteur ont été considérables pour notre génération grâce à ceux qui ont su développer notre spécialité dans les années 1950-80. C’est certainement leur approche spécifiquement pédiatrique qui a permis de progresser dans la prise en charge des nouveau-nés et des jeunes enfants. C’est aussi leur collaboration constante avec les chirurgiens orthopédistes adultes qui a permis de progresser dans la prise en charge des adolescents. Cette évolution se retrouve dans la formation de notre génération qui est souvent mixte entre l’enfant et l’adulte. Elle se retrouve également dans nos choix de carrière entre ceux qui se spécialisent en Orthopédie pédiatrique avec une connaissance relativement élargie de l’enfant et ceux qui se spécialisent plutôt dans un segment de l’appareil locomoteur, avec alors bien souvent une pratique importante de la chirurgie adulte. Cette évolution est d’ailleurs très attirante pour un Chirurgien orthopédiste pédiatre qui voit ses patients et sa clientèle vieillir et qui est tenté de les suivre.
De toute façon le suivi à l’âge adulte des patients traités pendant leur enfance demande à être bien organisé. L’idéal est de pouvoir les orienter vers la structure et la personne la plus adaptée. De toute façon, quel que soit le mode de suivi, il devrait être lié à un rendu des informations à long terme. C’est le seul moyen pour nous de progresser dans notre pratique médicale. Ce rendu est très difficile à obtenir, sinon impossible. Il s’arrête bien trop souvent à la première consultation. C’est probablement dans ce domaine que la gestion informatisée du dossier médical pourra faire progresser les mentalités.
C’est cette démarche générale que je tiens à valider avec vous.
Nous avons chacun notre expérience et il faut la partager pour progresser.
Olivier BADELON